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Lettre à Maurice Duval du 6 juillet 1996 par Jean-François Chazerans

Publié le samedi 29 décembre 2007.


Objet : votre fax du 2 juillet 1996

Cher Monsieur,

Votre refus de participer à une manifestation culturelle aux côtés d’un négationniste est tout à votre honneur, mais M. Marc Sautet est-il vraiment un négationniste ?

Vous dites que "vous avez découvert avec stupéfaction que M. M. Sautet avait des propos négationnistes", puis-je vous demander comment ? Avez-vous d’autres sources que l’article du journal Le Monde du 14 juin 1996 pour affirmer cela ? A ma connaissance il n’y a que cet article qui, sous prétexte d’informer, ne fait que semer le doute. Que le journal Le Monde ait décidé de devenir le Voici ou le Ici Paris de certains propriétaires du savoir, cela me laissait jusqu’à présent indifférent, mais aujourd’hui il m’incombe de mettre en place ces journées de la philosophie pour tous, que cet article sur Marc Sautet pourrait dans une certaine mesure compromettre, votre fax en étant un exemple. Il me faut d’abord vous dire que je ne mets pas en place les journées de Marc Sautet, ni les journées des cafés philo, mais des journées philosophiques où Marc Sautet est un participant comme les autres, bien qu’il soit, de par l’histoire des ces journées, une sorte de parrain. Nous avons été consternés par votre fax car il pourrait laisser planer le doute que nous pourrions cautionner les négationnistes. Vous pensez bien que ces journées philosophiques ne sont absolument pas une entreprise de promotion des négationnistes. Si nous avions le moindre doute sur un des participants, même s’il s’agissait de Marc Sautet, nous lui aurions demandé de ne pas venir. Mais d’un autre côté le négationnisme est puni par la loi, en accuser quelqu’un est une chose grave, nous ne pouvons donc pas prendre les choses à la légère et faire n’importe quoi sous prétexte qu’il circule des ragots sur la respectabilité de quelqu’un.

Ainsi je me suis préoccupé de cette "affaire" dès le 14 juin. J’ai tout de suite lu l’article de près et j’en suis arrivé a la conclusion que ce n’était qu’un coup bas, un procès d’intention. Je ne vais pas faire ici une explication de texte, mais le procédé du journaliste me semble quand même quelque peu maladroit, sinon malveillant. Le titre, très imprécis, annonce "des propos ambigus sur le génocide juif" et commence par, écrit en gros et en gras, LE NEGATIONNISME. Est-ce que ce sont deux choses équivalentes pour le journaliste ? En tout cas pour moi c’est très différent, être négationniste c’est nier la réalité du génocide juif et en particulier l’existence des chambres à gaz. Pourquoi donc le journaliste n’a-t-il pas titré ? Pour la simple raison, je pense, que M. Sautet n’est pas du tout négationniste, il le dit très clairement à la fin de l’article : "Je n’ai aucune intention de servir de levier aux négationnistes, et je ne reprends en aucune façon à mon compte la thèse qui nie l’existence des chambres à gaz, Que le régime hitlérien en soi arrivé à la destruction du peuple juif c’est un fait".

Le journaliste sème le doute en citant la lettre des participants de la rencontre de Montpellier : "tu as repris à ton compte la thèse qu’il n’existe aucune preuve de la réalité des chambres à gaz", thèse que Marc Sautet ne se souviens pas avoir repris à son compte (suite de l’article). Qui croire ? Marc Sautet aurait-il soutenu cette thèse et se serait-il rétracté ? Difficile à admettre car doit-on tenir compte de ce qu’on lui fait dire ou de ce qu’il dit ? Ce qui compte c’est qu’il dit, lorsqu’on lui demande des explications, qu’il n’est pas négationniste et qu’il ne nie pas l’existence des chambres à gaz. Il est plus vraisemblable qu’il n’a pas été compris. Et l’article au lieu d’éclaircir les choses ne fait que les obscurcir. D’autre part, en ce qui concerne l’éventualité de "propos ambigus", vous devez savoir que l’on peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui en sortant certains propos de leur contexte. Un seul exemple, le fameux "point d’interrogation" sur les chambres à gaz, n’est pas comme certains pourraient le penser avec une certaine dose de mauvaise foi, une interrogation sur l’existence des chambres à gaz (elles n’ont pas existé) mais une interrogation qui prend comme base leur existence (pourquoi Hitler en est arrivé à la solution finale), ce qui veut bien dire que les juifs ont été exterminés (comme vous devez le savoir le verbe « être » sert au jugement d’existence mais sert aussi de copule).

Non seulement j’ai essayé de lire de près l’article en question, mais j’ai tout de suite téléphoné au cabinet de Marc Sautet. J’ai eu son assistant, M. Jean-Christophe Grellety, qui m’a assuré que Marc Sautet n’avait rien à voir avec les négationnistes et qu’il était très affecté par cette attaque infondée. Il allait répliquer en portant plainte contre le journal en diffamation et en envoyant une lettre en vertu de son droit de réponse. Comme je ne voyais toujours pas cette lettre dans Le Monde, j’ai repris contact avec M. Grellety qui m’a expliqué que le journal refusait la publication car le journaliste y était mis en cause et M. Sautet refusait de laisser supprimer certains passages de sa lettre. Cette lettre est maintenant publique car elle est en édito dans la publication de l’association Philos (ce que demandaient les participants de Montpellier dans leur lettre du 16 février). Je l’ai lue et je vous la fait parvenir, je pense qu’on ne peut pas être plus clair. Ce qui compte aujourd’hui ce sont ces propos sans aucune ambiguité. "Le négationnisme", "les propos ambigus sur le génocide juif" ne semblent plus exister que comme fantasme dans l’esprit des participants de Montpellier et du journaliste du Monde. Ce qui est grave c’est que la rumeur s’est développée et persiste dans l’esprit de beaucoup de gens, vous en êtes un exemple. Comment faire pour couper court et y mettre un terme ?

Il m’est difficile de croire comme vous que Marc Sautet s’est rétracté à cause des proportions que prenait cette affaire et qu’il suffit qu’il y ait un doute pour que l’affaire soit entendue, vous y allez fort ! Vous dites que M. Le Pen dit qu’il n’est pas raciste mais il a été condamné plusieurs fois par la justice, apologie de crimes de guerre (1971), racisme, antisémitisme, fascisme, nazisme (1984-1985) etc. (Cf Pierre-andré Taguieff (sous la direction) Face au racisme, Points-seuil, T. I, pp. 235-241). Nous pouvons ainsi prendre en compte ce qu’il dit effectivement et il ne fait aucun doute que M. Le Pen est raciste. Garaudy dit qu’il n’est pas négationniste mais il est mis en examen pour contestation de crimes contre l’humanité. Que dit-il effectivement ? Ses propos sont exposés dans son livre : Garaudy est un négationniste. Vous pouvez, d’autre part, remarquer que ni Le Pen, ni Garaudy, ni l’Abbé Pierre d’ailleurs, ni les négationnistes ne semblent consternés par la gravité de ce qui leur est reproché. S’en défendent-ils ? Au contraire ils passent leur temps à aggraver leur cas et à entretenir le quiproquo. Pourquoi et dans quel but M. Sautet serait-il négationniste et s’en cacherait-il ? Pour des enjeux électoraux ? Pour défendre une mauvaise cause ? Parce qu’il est antisémite ? Pour préserver sa respectabilité ? Ne croyez-vous pas qu’il y a plus simple ? Ne croyez-vous que se défendre lorsqu’on est attaqué de la sorte est tout à son honneur ? Pourquoi ne pas prendre en compte ce qu’il dit vraiment, la fin de l’article au Monde et la lettre à Philos, et non ce qu’on lui fait dire ? Dites-moi ce qu’un homme accusé à tord peut faire de plus ?

Vous dites que l’article paru dans Le Monde n’est pas isolé, Vous m’avez parlé de quelqu’un de France-Culture, d’un journaliste de Libération, des participants de Montpellier, vous comprenez que ces témoignages ne peuvent pas m’être d’un grand secours, vous n’ignorez pas que dans une affaire aussi grave on ne peut pas prendre les choses aussi à la légère, le chercheur que vous êtes ne peut ignorer l’importance des sources fiables. L’ethnologue que vous êtes ne peut pas non plus ignorer les méfaits de la rumeur. Les "on dit" de journalistes, même de France-Culture et de Libération, ne peuvent me satisfaire. Sur quoi puis-je me fonder dans cette affaire ? Il ne reste que le livre de Marc Sautet, l’article du Monde qui ne fait qu’un avec le témoignage des participants de Montpellier et sa lettre publiée dans Philos. J’ai déjà dit ce que je pensais des deux dernières sources, il ne reste que le livre. Je ne vois pas sur quoi vous vous fondez pour affirmer qu’il y a des propos "douteux". J’ai lu de près tout le livre et en particulier les chapitres sur Marx et sur les totalitarismes et je reste dubitatif. Pourriez-vous me signaler les passages incriminés car je commence à avoir l’impression que je ne sais plus lire !

Mon projet, lorsque j’ai pris contact ce matin avec vous, n’était pas de vous faire revenir sur votre décision mais d’y voir plus clair. Les choses sont différentes maintenant car après avoir réfléchi, je vous demande de bien vouloir revenir sur votre décision et participer aux journées de Vouillé, d’abord parce que je pense que votre action au sein du Bistrot des Ethnologues est en adéquation avec l’"esprit" de ces journées mais aussi parce que le "procès" qui est fait à Marc Sautet me semble être une injustice criante. Puisque vous avez, selon vos propres mots, été stupéfait, et puisque vous avez une attitude ferme et engagée contre le négationnisme, ne pouvez-vous pas aussi avoir une attitude ferme et engagée contre les ragots, la délation infondée, la malveillance, contre cette attaque diffamatoire ?

PS : Le Monde dans son édition du 7-8 juillet 1996 que je viens juste de lire, publie, avec d’autres lettres, la lettre de Sautet. Ce dernier a dû accepter que les passages où il met en cause le journaliste soient supprimés. On y apprend que Collette Diaffo se désolidarise de l’entreprise d’avoir communiqué à la presse la lettre de Marc Sautet, ce que vous m’annonciez ce matin. Le journal précise aussi sa position neutre vis-à-vis de cette affaire en avancant son rôle de relais et laissant toute la responsabilité aux "accusateurs". Rien à redire des autres lettres, celles qui sont critiques ne sont pas injurieuses, nulle remarque sur un négationnisme ou un antisémitisme supposé, seulement une incompréhension due, je pense, à la forme lapidaire et maladroite de l’article du 14 juin. Seule la lettre de Damien Le Guay a dépassé cette incompréhension et est d’une grande honnêteté intellectuelle.


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