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Lettre à Jean-Christophe GRELLETY du 29 mars 1996 (non envoyée) par Jean-François Chazerans

Publié le samedi 29 décembre 2007.


Cher Jean-Christophe,

Il est assez évident que je profite de cette opportunité pour m’engager. Tu parles d’analyse et de raisonnement, soit, tu as raison mais cela ne me semble pas suffisant. Nous sommes encore dans ce que Marcuse appelle "la tolérance pure", celle qui "sert dans la plupart de ses manifestations réelles la cause de l’oppression"1. Il est nécessaire, c’est ce qu’il me semble que tu penses, de critiquer les critiques, mais il faut se méfier de ne pas faire ce qu’ils font. Les intellectuels actuels sont le plus souvent des "chiens de garde" et leurs critiques relèvent du "chien-de-gardisme", sous le couvert de leur esprit critique ils occupent le terrain et empêchent les autres de s’exprimer.

D’autre part la critique pure est inefficace. Car, contrairement à certains pays à régimes dictatoriaux, dans notre société le pouvoir semble accorder une moins grande importance à la lutte idéologique. Alors que dans les pays à régimes dictatoriaux il y a de la délinquance intellectuelle, on peut faire de la prison pour délit d’opinion, dans notre société certains intellectuels peuvent critiquer de l’intérieur sans se faire réprimer. Mais on peut quand même constater que ce qui se passe vraiment c’est une récupération de la contestation. Cette dernière permet de justifier le discours dominant (libéralisme) : tout un chacun est libre puisqu’il peut contester sans être poursuivit. Ainsi que ce soit en contestant violemment ou en acceptant implicitement on justifie l’idéologie dominante et on est récupéré. Si cela se passe ainsi, c’est qu’il y a une faible communication entre les intellectuels critiques et les masses, il suffit pour le pouvoir de contrôler la diffusion par les mass-média pour produire une culture populaire qui est une forme dégradée mais pratique de l’idéologie dominante. Qui contrôle la communication entre les intellectuels et les masses contrôle et les intellectuels et les masses. Car ce sont toujours les mêmes qui s’expriment et qui occupent le terrain. Quelques intellectuels triés sur le volet, mais surtout les "journalistes" et les animateurs TV.

La critique peut être pertinente, violente, outrancière mais comme elle reste dans la sphère intellectuelle sans jamais parvenir à avoir quelque efficience dans la sphère de la culture populaire, elle est inefficace et est soumise à la récupération.

Le "débat philosophique de café" est subversif car tout en ayant comme enjeu cette communication entre les intellectuels et les masses, il court-circuite les structures médiatiques existantes.

Salutations amicales,


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